samedi 30 mai 2015

J-333 – Relecture de vie

Je ne veux pas m'appesantir niaisement sur de vieilles anecdotes. Ce serait là une posture bien trop tournée vers ce qui n'est plus, c'est à dire vers la mort. Les souvenirs peuvent être malsains, il faut s'en méfier mais il faut aussi les respecter car, s'ils ont parfois un goût de mort, le passé est fondateur, racinaire, source de vie et de culture. Interroger le passé par sentimentalisme ou narcissisme est stérile mais repérer dans le passé ce qui est assez solide pour fonder l'avenir est fécond. Fort de cette conviction, je me suis intéressé assez naturellement à l'idée d'une relecture de vie. Je continue en cela à piller sans vergogne la démarche de Marie-Paule Dessaint.

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Fils d'un homme imposant, d'un industriel à qui je devais succéder, j'étais prédestiné à incarner la cinquième génération d'une petite dynastie de chefs d'entreprise. Dès ma naissance, mon père me présentait déjà fièrement comme « l'héritier de la couronne ». Sans tenir compte de mon jeune âge, des adultes m'entouraient de déférence. Au point que j'ai fini par me considérer comme un personnage plus important que les autres. La source de mes privilèges s'est chargée de réduire à néant cet orgueil mal placé. À l'évidence, il s'agissait non pas de ma valeur personnelle mais hélas de mon statut de fils, exclusivement. Cette cruelle déconvenue, dont les ressorts m'étaient à peu près inconscients, s'est envenimée à l'adolescence sur un mode névrotique. France Gall chantait : Résiste ! Prouve que tu existes ! Comment exister ? Je suis devenu cynique, asocial, voire misanthrope, rebelle à toute forme d'autorité. Plus tard, j'ai jeté ma fureur de vivre dans le ski hors piste, le sport automobile, la moto, l'aviation légère et même la voltige aérienne. J'ai eu de la chance : j'en suis sorti indemne, physiquement. Au mental, c'était autre chose. J'étais inapte à toute prise de décision, notamment quant à mon orientation professionnelle. La pression psychologique que mon père exerçait sur moi pour que je lui succède n'avait d'égal que la résistance farouche que je lui opposais. L'immobilisme était le seul effet possible de ces deux forces antagonistes. Ceux qui pratiquent le tir à la corde comprendront. Le cul entre deux chaises et à force de courir deux lièvres à la fois, mes études terminées, je n'étais préparé à rien. Entre la reprise de l'affaire paternelle ou une voie plus personnelle, j'ai laissé les événements opérer un choix à ma place. Pour mes parents, les architectes et les fonctionnaires représentaient la lie de la société, dans ce qu'elle a de plus bas. Combien de fois à la maison, ai-je entendu ce jugement définitif à propos de tels parents dont le fils avait failli : « Comme ça n'était qu'un bon à rien, ils l'ont foutu fonctionnaire. De toute façon, il n'aurait jamais pu faire autre chose ! » Tous les mots sont importants. Leurs motifs leur appartenaient. Par un hasard qui ne peut pas tout à fait en être un, je suis devenu d'abord architecte puis, quelques années après, fonctionnaire.

Lorsque je suis rentré dans l'administration, j'ai tout de suite eu l'impression d'arriver chez les fous. Cependant, mon premier fils entrait en maternelle, le second est né peu après. Lorsqu'on a charge d'âme, on ne quitte pas un job qui offre à la fois une garantie d'emploi à vie, un salaire assez élevé et des conditions de travail plutôt confortables. Et c'est ainsi que j'ai passé le restant de ma carrière dans la fonction publique et c'est pourquoi j'y suis encore aujourd'hui. Mais dans 333 jours précisément, ça s'arrête !

Telles sont les fondations sur lesquelles je me prépare à édifier ma retraite ; elles sont bien fragiles mais, contre vents et marées, je garde l'ambition d'une réussite, enfin.



EPILOGUE

Mon père a fini par céder son entreprise, en abandonnant les portraits de ses ancêtres sur les murs de son prestigieux bureau. Quelques années plus tard, l'usine a fermé. Une centaine de personnes ont perdu leur emploi et une partie d'entre elles m'en a tenu responsable. J'aurais pourtant été bien incapable d'empêcher ce désastre. Peu de temps après, mon père est mort – en est mort, ont pu dire certains – en se demandant toujours pourquoi je ne lui avais pas succédé.

Il y aura bientôt 30 ans de cela.

mercredi 20 mai 2015

J-343 - Les bons côtés de mon job actuel

Le site de la coach québécoise Marie-Paule Dessaint regorge d'analyses et de conseils très utiles pour les futurs retraités. Au point que je me dois de mettre un bémol au jugement sévère que je porte en général sur la corporation ! Le conseil personnalisé qu'elle m'a adressé (via Twitter) est de profiter des jours qui restent pour apprécier tout ce que le travail m'apporte.
Convaincu de l'intérêt de tirer ce fil, j'ai commencé par établir (par ordre d'importance décroissante) une liste de ce qui me plait dans mon job actuel, en dépit de tout.


BONS CÔTES :

  1. Évoluer dans deux univers parallèles, l'un familial et l'autre professionnel, qui modèrent mutuellement leurs exigences respectives dans un processus d'autorégulation.
  2. Jalonner ma journée de rites ou de repères auxquels je suis attaché : le petit-déjeuner au calme, la fraîcheur de la ville au petit matin, l'anonymat du train, le confort protecteur de mon bureau – j'ai toujours aimé les tours d'ivoire –, le repas partagé avec un petit groupe de collègues, toujours les mêmes, le vent de liberté du retour à la maison...
  3. Travailler de manière très indépendante sur des sujets choisis selon mes aspirations personnelles.
  4. Envers et contre tout, attribuer un vague sens, fût-il illusoire ou récréatif, à la production collective à laquelle j'apporte ma modeste contribution.
  5. Appartenir globalement au monde des actifs, celui d'un grand quartier d'affaires, et plus singulièrement à une entité dotée des moyens et services propres à toute structure organisée.


vendredi 1 mai 2015

J-362 - Trop vieux !

"Vous êtes trop vieux !" Navrant résultat d'un test qui mesure ma capacité à créer une petite entreprise pour agrémenter ma retraite. Combien de fois, adolescent, suis-je sorti de mes gonds parce qu'on me disait que j'étais trop jeune ? Je savais du moins que cela allait s'arranger. Trop vieux, c'est infiniment plus grave, c'est même sans espoir. J'ai essayé de lutter. J'ai tenté de censurer rigoureusement ma conversation, de l'expurger de toute allusion à une quelconque expérience. Ainsi voulais-je faire mine de ne rien connaître et de désirer tout découvrir dans l'actuel. Quoi de plus exaspérant que le bonhomme - syndrome du vieux con - qui ramène tout à ses exploits passés ? Pour peu, j'aurais lancé des projets dans le seul but de prouver ce que je savais d'ores et déjà parfaitement. Cette orientation artificielle vers le futur et ce refus de me prévaloir d'une expérience se soldèrent par un échec complet. J'ai simplement dû passer pour un demeuré. Je me résigne donc et conviens que je suis irrémédiablement ancré dans un passé pourtant révolu. Qui donc pourrait encore prendre mes projets au sérieux ?